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lundi 17 juin 2013

L' année du baccalauréat



Parc Ste. Geneviève Évry, polaroid original versus 1970.


 " Vers l'âge de 13, 14 ans, tout en apprenant des choses, j'ai commencé à écrire. Dès cet instant, j'ai vraiment compris que c'était mon destin, d'une certaine façon. Donc j'ai très vite lu énormément de choses, j'avais déjà lu pas mal de choses, mais j'ai très vite lu l'histoire de la poésie, et ce que déjà j'entendais à la fin de mon cycle



secondaire, je ne sais pas comment ça fonctionne main­tenant, troisième, seconde, première, je ne peux pas dire que je m'ennuyais, mais tout ce que j'entendais, je le savais déjà. C'était pourtant assez intéressant et assez raf­finé, à cette époque-là. Ce qui m'avait conduit à ça, c'est que je fais partie encore d'une génération qui a été, du moins dans les collèges, dans certains collèges disons confessionnels, moi c'était des collèges catholiques... il y avait une éducation classique, ce qu'on appelait la rhéto­rique, qui n'avait pas tellement changé...


j'ai eu le même enseignement que mon père, et que mon grand-père même. Mon grand-père est né en 1870, donc il a fait ses études avant 1890. Il est mort après 1950, j'avais prati­quement le même enseignement que lui. Latin-grec, une langue vivante, qui était pour moi l'anglais, qui pour mon père avait été l'espagnol, qui pour mon grand-père avait été l'allemand. Mon grand-père et mon père étaient médecins, médecins de campagne, c'était des médecins des pauvres, ce n'était pas des médecins riches et de riches. Enfin, ils soignaient des riches comme tout médecin, ils ont le devoir de soigner tout le monde, bien entendu. J'ai eu un des derniers soubresauts, mais tout de même assez majestueux, de cet enseignement-là. Ce qui fait que j'ai tout de suite aimé le grec et le latin, et que c'est plus dans ce domaine-là que j'ai appris la construction des phrases, le rythme, et même la langue, ce qu'est une langue. Quand vous l'apprenez dans une langue comme le grec, par exemple, quand vous appre­nez ce qu'est la langue dans un alphabet qui n'est pas celui que vous avez tous les jours, vous commencez à vous poser des questions sur la langue, forcément. Ça doit être, sans doute, extrêmement plus intéressant
aujourd'hui pour ceux qui ont la possibilité de lire dans l'alphabet arabe, par exemple, qui est beaucoup plus éloigné que ne l'est l'alphabet grec du nôtre. Ou dans les caractères chinois, ça doit être très intéressant. Cette question est importante. Pas seulement la question de la traduction. On apprend d'abord une langue qui est une langue morte, qui ne se parle plus, qui a été parlée dans un temps, dans des temps légendaires au fond, le grec, même le latin, le grec surtout, qui n'a plus été parlé après que par des érudits, s'agissant du grec, le latin c'est un peu différent. Donc, vous êtes devant une langue extrê­mement étrange. Vous vous posez des questions sur l'existence de la langue entre les hommes. Ça vous fait réfléchir aux civilisations dans lesquelles ces langues ont été parlées, vous imaginez, si vous avez un peu d’imagination. Ce qui était quand même notre cas, puisque nous vivions...


j'ai été dans une première école qui était dans la montagne, dans le Massif central, dans un endroit particulièrement sévère, où il y avait de la neige cinq mois de l'année, mais de la neige, un mètre, deux mètres de neige, une petite école, qu'on appelait à l'époque une école cléricale, c'est-à-dire une école qui faisait sixième, cinquième, quatrième, qui était censée préparer les enfants, qui étaient en grosse majorité les fils des paysans pauvres, très pauvres, de la région, les pré­parer à ce qu'on appelait le petit séminaire. Dans l'en­seignement catholique, petit séminaire, grand séminaire, et après vous êtes prêtre, de longues études." (...)

Pierre Guyotat


Leçons sur la langue française, à l' université Paris VIII
Dans La Revue Littéraire N°1 avril 2004 Éditions Léo Scheer.






dimanche 9 juin 2013

Voyage au pays-masque






 " Une des méthodes que l'homme utilise le plus fréquem­ment pour défendre sa zone territoriale intime consiste à porter un masque et à se tenir en retrait derrière son image de marque sociale, la neutralité du visage de bois, du regard inexpressif ou souriant à la commande, la poignée de main faussement chaleureuse. Se conformer au paraître que les autres demandent ou que vous croyez qu'ils demandent... Jusqu'à ce que le masque ne puisse plus tomber, qu'il colle tellement étroitement à la peau qu'il soit devenu impossible de l'enlever sans s'arracher du même coup la chair. 
Alors, masque = visage. Nous revoici prisonnier du royaume d'illusion. 
La personne = le masque qu'elle porte, retrouvant ainsi l'origine étymologique du mot personne qui désignait le masque-mégaphone ou personna, symbolisant le rôle tenu par l'acteur de théâtre antique. (On distinguait environ vingt-cinq espèces de masques tragiques et plus de quarante espèces de masques comiques.) Et, c'est le vrai visage, lorsque par instants soudain il se révèle qui apparaîtra incongru, sale, indigne, grimaçant, dans son impudique nudité. Nous ne saurons jamais quel aurait pu être ce visage cadenassé à double tour, s'il avait été vrai, si celui qui l'habite et tous les autres auquel il réagit, lui avaient permis d'être vrai. Bien sûr, la vie est plus facile quand l'individu se fait objet-caméléléon. Vous pouvez alors cesser de considérer l'autre comme en être humain. Plus de problèmes ! Habillement, gestes, attitude. tout devient langage codé d'un corps qui dit à l'autre : tu es une non-personne. Tu n'as pas de sentiment. " (...)

Pierre Tilman ERRO éditions galilée 1976.






Photos Versus.