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dimanche 29 janvier 2012

Oui, revenir au plaisir !



9 août 1940 — Le soir.
Non
Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins.
De quoi est-il fait, ce plaisir ? — Principale­ment de ceci : le bois de pins est une pièce de la nature, faite d'arbres tous d'une espèce nettement définie ; pièce bien délimitée, généralement assez déserte, où l'on trouve abri contre le soleil, contre le vent, contre la visibilité ; mais abri non absolu, non par isolement. Non ! C'est un abri relatif. Un abri non cachottier, un abri non mesquin, un abri noble.
C'est un endroit aussi (ceci est particulier aux bois de pins) où l'on évolue à l'aise, sans taillis, sans branchages à hauteur d'homme, où l'on peut s'étendre à sec, et sans mollesse, mais assez confor­tablement.


 Chaque bois de pins est comme un sanatorium naturel, aussi un salon de musique... une chambre, une vaste cathédrale de méditation (une cathé­drale sans chaire, par bonheur) ouverte à tous les vents, mais par tant de portes que c'est comme si elles étaient fermées. Car ils y hésitent.

0 respectables colonnes, mâts séniles ! Colonnes âgées, temple de la caducité.


Rien de riant, mais quel confort salubre, quelle températion des éléments, quel salon de musique sobrement parfumé, sobrement adorné, bien fait pour la promenade sérieuse et la médi­tation.


 
Tout y est fait, sans excès, pour laisser l'homme à lui seul. La végétation, l'animation y sont relé­guées dans les hauteurs. Rien pour distraire le regard. Tout pour l'endormir, par cette multi­plication de colonnes semblables. Point d'anec­dotes. Tout y décourage la curiosité. Mais tout cela presque sans le vouloir, et au milieu de la nature, sans séparation tranchée, sans volonté d'isolation, sans grands gestes, sans heurts.


Par-ci, par-là, un rocher solitaire aggrave encore le caractère de cette solitude, force au sérieux.



 O   sanatorium  naturel,   cathédrale  heureuse­ment sans chaire, salon de musique où elle est si ( discrète
                                                                 ( douce et reléguée
dans les hauteurs (à la fois si sauvage et si déli­cate), salon de musique ou de méditation -- lieu fait pour laisser l'homme seul au milieu de la nature, à ses pensées, à poursuivre une pensée...
... Pour te rendre ta politesse, pour imiter ta délicatesse, ton tact (instinctivement je suis ainsi)
je ne développerai à ton intérieur aucune pensée qui te soit étrangère, c'est sur toi que je méditerai :
« Temple de la caducité, etc. »


« Je crois que je commence à me rendre compte du plaisir propre aux bois de pins. »

Francis Ponge, Le carnet du bois de pins, La rage de l' expression Mermod 1952. 







Gravure originale de LOUTTRE B, carte de voeux. SITE ICI

De Francis Ponge, deux éditions originales, Le carnet du bois de pins 1947 et La rage de l' expression 1952 chez Mermod éditeur- Collection Versus.

dimanche 15 janvier 2012

Le confort est-il toujours en noir et blanc ?




Le confort 1931 a donné son esthétique à la vie intime de 1931. C'est pour la première fois la fonction qui crée le décor et lui impose sa netteté décorative et non le décor qui soumet à ses caprices arbitraires les objets qu'il enve­loppe. La belle ligne des automobiles est née, non des caprices d'un artiste, mais du raisonnement pratique d'un mécanicien. Le décor du confort moderne est obligé de rompre avec toutes les anciennes lois de la décoration d' appartement. Le tube de cuivre nickelé, le fil de laiton, la lampe pleine de lumière éblouissante, tout cela finit par trouver ses formes à peu près définitives tant que l' élément qui les utilise restera ce qu' il est. De plus en plus, l' oeil humain s' habitue à la noble simplicité des lignes et des objets. Ce triomphe sur nos goûts traditionnels fut la plus belle conquête esthétique de 1931. Nos yeux gardaient jalousement les images anciennes des décors qui ne protégeaient rien, si ce n' est la tradition d' un confort strictement intellectuel.

De plus en plus la collaboration des grands éléments de la
nature pénétrera dans notre existence sous un aspect toujours plus discret. Les anticipations décoratives tenteront éternellement ceux que la curiosité de l'avenir tourmente sans arrêt. Tout ce que le génie de l'homme inventera pour at­teindre la perfection confortable contribuera à édifier des paysages nouveaux que l'imagination des artistes ne peut encore prévoir.


L'ingénieur, le mécanicien, le maître des champs ensemencés détiennent les secrets futurs qui composeront le pittoresque des temps à venir. Tout le pittoresque mondain de notre avenir naîtra d'une épure. Il est donc nécessaire de ne point perdre son temps à comparer le présent avec le passé si l'on veut garder quelques notions d'équilibre dans le jugement. Les influences du passé, qui se manifestent parfois quand le goût du présent n'a pas trouvé le sens unique de la marche, ne sont qu'anecdotiques. Elles ne peuvent rien contre l'irrésistible besoin de confort qui domine tous les hommes.

Un jour, ou un soir, dans un ciel de civilisation mélancolique, la terre apparaîtra ceinturée d'une inconcevable tuyauterie de nickel. Cette terre si aimée utilisera enfin son vieux et originel chauffage central dont jusqu'ici nous n'avons connu que les retours de flamme.

Pierre MAC ORLAN.





Il s' agit de photographies extraites de "CONFORT", et attribuées, bien qu' anonymes à la photographe Germaine Krull.
Plaquette publicitaire de luxe au profit de la Société Générale de Fonderie 1931.
Collection Versus.
Ce message est une réponse faite en prolongement d' un passionnant billet de la " République des Livres " de Pierre Assouline http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/12/20/pierre-mac-orlan-voyait-la-vie-en-noir-et-blanc/



Et voici, rajoutée, une photographie d' un calorifère, une révolution domestique à cette époque (1930).
Beau comme une calandre d' automobile de luxe!


dimanche 8 janvier 2012

A trop désirer la couleur, l' espace se défait.




"A trop désirer la couleur, l'espace se défait, il s'annule. Autre chose survient dans les yeux, qui n'est plus un ver­tige. Allez, allez au bout de la fascination! le ciel, la mer, poussez leurs teintes à leur plus grande force et que celle-ci vous paralyse! Le corps saisi veut se reprendre, c'est de peur.
Jouer sa propre peur, tel est le goût qui pousse bien des tableaux aux couleurs vives. On joue des violences de la solitude, celle qui craint même les oiseaux. On retire ses yeux tout aussi loin qu'on peut des choses visibles, dans les couleurs indifférentes pourvu qu'elles soient intenses. Ça fait un monde aussi. Ce monde-là est contraire ou inverse, il est un monde négatif. Toute chose y est un rien."

Marc Le Bot L' œil du peintre, collection Le Chemin Gallimard 1982.



Photo Versus, Llança del Mar 2011.

dimanche 1 janvier 2012

BAUME ANNEE!




" Cet azur mort que le jour verse à ton regard, tu le lui rends comme une vivante caresse. Tu lui as dit: J' accepte et le paradis humain se lève autour de toi.
Voici l' année."

Gustave Roud, Essai pour un paradis.
Peinture collage de Bernard Lachaniette 1995, collection privée.