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mardi 20 décembre 2011

NAITRE

Collage J.M. Staive


« Naître ! Quel vent comme une eau glacée sur ma face ! Je suis au seuil d'une plaine où le soleil roule avec les cloches dans la brume. Un homme laisse tomber sa faux sur la rosée et chante, chante tourné vers l'orient. Voix jamais entendue, chant jamais appris, cri qui monte vers la lumière, plus haut que toute angoisse, plus haut que les douleurs multipliées. C'est là le monde que vous m'avez rendu ! La belle route couleur de lavande pâlit à chaque seconde. Personne jamais ne l'a suivie, elle aussi est née avec le jour. Et c'est VOUS que ce village attend là-bas pour s'éveiller à l'existence. »

 
Gustave ROUD, Petit traité de la marche en plaine
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jeudi 1 décembre 2011

Quel dessein, quel dessin trace ta main?

photo versus


" Nul autre organe du corps que les mains n'est en situation de nourrir ces pensées : n'étaient les pieds. Mais leurs doigts courts, nul d'entre eux ne s'opposant aux autres, ne leur laissent d'autre œuvre que marcher et frapper; tandis que l'oppo­sition du pouce aux quatre doigts donne à cha­cune des deux mains une propre opposition interne. Ainsi les mains, énantiomorphes, sont le modèle formel et cependant concret de la pensée, de son faire-œuvre. Elles sont sa condition de pos­sibilité. Et aussi la main s'oppose à la main inverse : non l'œil à l'œil, ni l'oreille à l'oreille, ni aucun autre organe double du corps.
Toute pensée est corporelle. En dernier ressort, elle est manuelle. La main est l'organe le plus délié dans l'agir du corps. Et le travail du corps est sa pensée.
Auguste Rodin aurait sculpté quatre cents mains et davantage, isolées, coupées à hauteur du poignet, sans compter les mains des personnages de sa statuaire.
La «Main de dieu», sculptée par Rodin, est une main droite. La «Main du diable», la «Main de la mort sortant de la tombe», la «Main du pianiste» et aussi les deux «Mains des amants» qui se cares­sent sont des mains gauches.


photo Versus


Après que la main de dieu eut créé le monde et l'homme, il ne lui serait plus resté que son impuissance devant la confusion où Lui et nous cherchons en vain à distinguer le bien du mal : Sa main tantôt s'immobilise dans les grands gestes de Sa colère chassant Adam et Eve du Paradis, vouant au feu Sodome et Gomorrhe; tantôt elle se fige dans une semblable raideur pour le geste de béné­diction. La main du diable, si on en croit Rodin, prendrait, elle, la relève de l'action. Elle pointe les réalités essentielles : le sexe, la mort et la musi­que qui marquent l'origine, la fin et la rythmique de l'activité corporelle.
Les statues agressées par la violence des hommes ou ruinées par le temps, perdent d'abord leurs mains et leurs visages.
Les mains retiendraient tout en serrant leurs poings, n'étaient le vent, l'eau et le sable.
Mais le plaisir de lâcher, pour les mains, n'est pas moins grand que celui de prendre. Elles aiment à laisser couler entre leurs doigts eau, sable et vent, elles aiment l'expérience du vide."

Marc Le Bot La main de dieu, la main du diable Fata Morgana éditeur 1990.