Sanguine originale, école de Fragonard sur papier du XVIIIème, collection versus. |
" Le toucher des doigts est l'épreuve de réalité. Il confirme l'ouïe, l'odorat, la vue dans leurs expériences. Toucher du doigt est l'épreuve de vérité. Peau contre peau, les mains prennent contact avec la matière. Elles engagent tous les sens dans un corps à corps. Les mains ne sont pas seulement actives par elles-mêmes. Elles concourent à toutes les activités du corps.
Les travaux de la main le démontrent : c'est un corps qui pense. Quel corps ? de caresse ou de violence ?
Les travaux de la main le démontrent : c'est un corps qui pense. Quel corps ? de caresse ou de violence ?
Sanguine originale sur papier du XVIIIème. collection privée. |
Ouvrière, la main ajoute ou retranche de la matière à la matière. L'art du sculpteur met à jour cette double et contraire démarche des mains. Michel-Ange dit : on sculpte avec la terre glaise per forza di porre, en ajoutant de la terre à la terre; on sculpte le marbre per forza di levare, en taillant avec le ciseau, en arrachant la forme à l'informe du bloc de pierre. Mais, dit-il, la terre molle n'oppose aucune résistance. Elle est inerte. D'elle-même, elle ne demande rien. En regard d'elle, le sculpteur tâtonne. Qui, au contraire, sculpte le marbre en taille directe, affronte la forme dans la violence et le défi, entre en rivalité avec la matière.
Couverture de La Main, texte de J. Brun, Robert Delpire éditeur 1967. |
Michel-Ange est injuste de mépriser l'art du modelage, de louer les seuls travaux violents. Il montre, du moins, que dans l'art du sculpteur les travaux des mains découvrent leurs formes extrêmes ou pures. Que la matière soit malléable ou dure, on touche à l'essentiel : les arts démontrent que la pensée est un affrontement du corps-pensée au corps matériel de sa «langue». Que dans toute pensée ce soit un corps qui pense, ceci est la propre vérité que pense l'art. Et, s'il avait été bienveillant, Michel-Ange eût pu dire de la sculpture ce qui est vrai de tous les arts : elle aussi va de la cruauté à la tendresse."
Marc Le Bot, La main de dieu, la main du diable. Fata Morgana éditeur 1990.