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vendredi 29 avril 2011

Un week-end au pigeonnier de Georges Borgeaud.

Georges Borgeaud avec son chat devant la porte de son pigeonnier en 1987. Photo Versus.


" Ainsi fut rendue à la vie inspirée un pigeonnier que l' indifférence des hommes avait exposé aux hivers et à la calcination des étés, aux caresses de la lune et aux rôdeurs à fusil. Depuis que je l'occupe, le besoin d'avoir à chercher un nouveau lieu pour une heure de plénitude n'existe plus. Les vagabondages qui remplaçaient mon grand besoin d'une halte un peu prolongée se sont raréfiés depuis. Parfois je pense qu'il y a peut-être là une forme perfide d'amollissement de l'esprit.




Le Grès n'est pas non plus un enracinement car il aurait fallu pour cela y avoir été introduit depuis longtemps, comme la vigne dans un  pays. Je me suis seulement ressaisi à temps, comme quelqu'un qui au bord   de   l'abîme   s'agrippe   à   l'arbrisseau.   Avant   la   chute dans l'irrésolution, j'ai agi comme je l'aurais fait dans mes lieux d' origine, si ceux-ci m'avaient tant soit peu retenu. J'ai décidé de m' y plaire comme un exilé. J'y prolonge des jours, reçois des amis, fais pour eux et pour moi-même des dînettes de célibataire. J'abîme ma " main à    plume " aux petits travaux de jardinage, aux divers bricolages, sans oublier, après d'inévitables mais peu sérieuses blessures, de me conduire en toute hâte chez le médecin pour une vaccination contre le tétanos. J'ai failli marcher, un jour, à pieds nus, sur un petit serpent dont je me demande encore s'il s'agissait d'une vipère. Je mets mes peurs  à l'abri quand les orages tapageurs tombent sur ma doline, ressortant quand les averses ne  se mêlent plus aux éclairs et au tonnerre, les recevant sur ma nudité avec cette sensation douteuse d'être rendu à la pureté primitive. Je ramasse du bois mort pour la cheminée qui en est friande. Je fais même mes lessives. Le soir, enfin, j'arrose le jardin potager en tenant une lance de cuivre derrière laquelle il y a vingt mètres de tuyau de plastique rouge, lové sur la terre pelée et la tiédeur des cailloux. Une tâche délicieuse: attacher les tomates,  le buisson de romarin qui verse de tout son poids, une petite vigne dont les grappes tardives mûrissent après mon départ, une branche alourdie de ses prunes. Chacune de ces activités me laisse dans la main une odeur distincte que j'emporte au bout de mes doigts, dans mon sommeil,   et  dont  certaines   sont  ineffaçables  pour  un temps et surprenantes. Enfin, j'ai nourri des chiens errants jusqu'au jour où ils disparurent, les uns après les autres. Mieux ne pas savoir comment.
L'un d'entre eux s'attacha si frénétiquement à moi qu'à l'aurore, je le trouvais couché devant ma porte qu'il gardait jalousement. La nuit il vagabondait, le jour il me gardait. Le principe en était si bien établi qu'il finit par être paralysant pour moi. Je préfère l'angoisse que me donne l'indépendance de ma chatte quand elle a décidé de retarder, la nuit, son retour à la maison et qu'il me faut laisser la porte ouverte. Parfois, je l'appelle avec de l'impatience dans la voix ou l'attends dehors pour la trouver enfin, indifférente, endormie en boule, sur la couverture du lit.
La maison du Grès a guéri chez moi une instabilité peut-être plus spirituelle que physique, la dispersion de l'esprit qui souhaite être ailleurs que là où la fatalité le fixe. Grâce à elle, depuis de nombreuses années, je rassemble mon attention sur un espace restreint de la nature, en apparence sans grand attrait pour le passant mais inépuisable à mes yeux. On pourrait appeler cela l'école du regard si l' expression n'avait point été attribuée à une école romanesque de cadastre. A me pencher sur la répétition, je ne ressens ni lassitude, ni ennui et quand parfois mon enthousiasme s'amincit, j'en souffre comme le mystique qui se croit privé de la présence de Dieu. Le remède à cette panne de l'attention est de se laisser ingénument émerveiller par l'ordinaire de la vie. Avoir la conviction du miracle perpétuel, autrement dit. Si cela ne suffit pas à réveiller notre ferveur, il faut s'exalter à participer à des besognes communes, à vouloir dans la nature encourager ce qui s'émousse, à remplacer au jardin l'inculte par une explosion de fleurs et de légumes, à épauler un prunier en le greffant pour le pousser à fructifier, voire même à combattre dans le carré des salades et des rames de petits pois limaces et pucerons. J' ai prévenu, ainsi, la défaillance d'un rosier blanc, sans oublier pourtant qu'après moi, un jour, tout ce que j'aurai entretenu défaillira."

Emission en direct à Europe 2 à Cahors en 1987 de Georges Borgeaud à propos de son prix Medicis par Versus,  photo  versus.


Repas en compagnie de Georges Borgeaud , photo versus  1987.


Georges, le pigeonnier  et un peu du paysage du Grès, 1987 photo versus.

Georges Borgeaud, Le soleil sur Aubiac, Grasset éditeur 1987.


Un fond Georges Borgeaud se consulte ICI.

mardi 19 avril 2011

Ce creux ce coeur tout entouré

Dernier catalogue à peine publié des sculptures de Jean SUZANNE.



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ce creux ce cœur tout entouré

par tant d'ombres bruissantes

 


 recueille en sa transparence

 le ruissellement du ciel

 
le soleil dans la clairière

 
 couleur d'herbe et de sommeil

 
 brille comme la conscience

 
 au fond des forêts de l'âme

mais à celui qui chemine

 
 dans les méandres des feuillages 

 
les ténèbres sont familières 

 
il s'égare en son pays

 

l'énigme c'est la lumière

 
 qui ne commence ni ne finit



Jean Mambrino,Clairière, Desclée De Brouwer, 1974.

lundi 11 avril 2011

Etre peintre et ne plus rien faire du tout...

Collage, œuvre originale de J.M. Staive.


Etre peintre et ne plus rien faire du tout. ..

(« devenir une sorte de générateur à rayonnement constant " ) Yves Klein.

A la lecture du Journal de Delacroix, Klein mesura, semble-t-il, l'im­portance du charisme de l'artiste dans la société. Dès la fin des années cin­quante, Delacroix mais aussi Van Gogh allaient incarner la figure du génie au siècle précédent. Il se trouve que la correspondance de Van Gogh à son frère Théo fut rééditée en 1956 par les éditions Gallimard, trois ans après la parution d'une monographie par Charles Estienne . Klein se plaît à citer Van Gogh qu'il considère avec Delacroix comme l'un des artistes de la pensée monochrome dont les écrits resteraient le plus authentique témoi­gnage. Leurs livres seraient leurs chefs-d' oeuvre. Or les genres littéraires de ces deux ouvrages sont comparables : le journal et la correspondance servent normalement à exprimer de manière sensible et directe une expé­rience de la vie quotidienne. Delacroix écrivait sa vie pour lui-même et Van Gogh l'écrivait à son frère.
Considérant cette relation de l'écrit d'artiste à la vie, Yves Klein fait l'hypothèse d'une réduction radicale. Si la vie de l'artiste s'expose à tra­vers l'écriture et non plus la peinture, cette vie n'est-elle pas le sujet ultime de l'art qu'il faudrait libérer de toute perturbation formelle ? En un mot Klein propose de supprimer et la peinture et l'écriture au bénéfice d'une existence pure, une existence non agissante. Dans un élan vers un hypothétique futur, il se risque à cette confidence :
« A vrai dire, ce que je cherche à atteindre, mon développement futur, ma sortie dans la solution de mon problème, c'est de ne plus rien faire du tout, le plus rapidement possible, mais consciemment, avec circonspection et précaution. Je cherche à être " tout court ". Je serai un " peintre ". On dira de moi : c'est le "peintre". Et je me sentirai un " peintre", un vrai justement, parce que je ne peindrai pas, ou tout au moins en apparence. Le fait que "j'existe" comme peintre sera le travail pictural le plus "formidable" de ce temps? »


Nicolas Charlet. L' emprunt d' Yves Klein à Eugène Delacroix : l' empreinte.
 in L' empreinte, Mille Sources éditeur sous la direction de Y. Beaubatie, Tulle 2004.

Notes sur Yves Klein , Centre Pompidou, Paris. 

lundi 4 avril 2011

Casser la croûte ?

carte postale de brocante retravaillée façon Staive circa 1985.

L'Art modeste, il faut bien le dire, c'est laid. Même si le beau a fait son chemin depuis la Renaissance. L'idéal du beau, le désir du beau s'abîme dans les nœuds de l'institution, bute sur la technique, agonise au premier regard. L’Art modeste aime le beau, y aspire. Les Beaux-Arts, toujours beaux. L’Art modeste aurait-il compris bien avant d'autres (l'art contemporain) l'inanité de la question du beau ? Non. La question de comprendre est infondée ici. Reste l'incertitude, ou non, le malaise, l'abject.

On trouve toujours que la bouche par exemple ou les cheveux auraient pu être mieux faits. Puis le reproche s'est perdu, le tableau est accroché (encore un sujet de conflit) et il décore comme il peut. On ne dit d'aucune autre peinture qu'elle aurait pu être mieux faite. Pourquoi veut-on toujours refaire l'Art modeste ?

Que faut-il manger, que faut-il boire pour peindre ça ? Les questions qui s'agitent devant un tableau d'Art modeste.

L'Art modeste sent le renfermé, sent vraiment le renfermé, mélange fétide et sec de moisi, de poussiéreux, qui saute au nez quand on ouvre de vieux livres, quand on descend à la cave. On manque de place à la maison. On n'a pas forcément un garage, une remise, oh ! allons-y, un atelier pour installer le chevalet, la boîte de peintures et les tableaux. L'Art modeste revient de loin, poubelles, greniers, débarras. Ce qu'on trouve n'a parfois jamais vu la lumière du jour, ni pris l'air.

L'Art modeste aime les belles boîtes de peintures à l'huile, les petits pots d'huile de lin, d'essence de térébenthine pure gemme, leurs odeurs, les matériaux nobles, les tubes, le nom des couleurs, le mot siccatif. Le représentant fait comme les peintres-peintres. Il copie tout, la tenue, les allures. Le peintre romantique reste son exemple. Il est un peu bohème sur les bords mais il aime le beau et ne veut pas s'abîmer.

Alain Sevestre, L' Art modeste- Note sur la croûte- Gallimard éditeur 1995.



Erik DIETMAN, un artiste dont j' apprécie hautement les œuvres, qui a commencé son travail en cherchant dans les poubelles !
http://www.ina.fr/media/entretiens/video/I07361165/erik-dietman.fr.html