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dimanche 27 mars 2011

La statue de Bronze

Bernard LACHANIETTE, La Bataille d' Artois - 2009 ( détail - verso )


LA  STATUE  DE BRONZE

La grenouille
Du jeu de tonneau
S'ennuie, le soir, sous la tonnelle...
Elle en a assez !
D'être la statue
Qui hurle en silence un grand mot : Le Mot !

Elle aimerait mieux être avec les autres
Qui font des bulles de musique
Avec le savon de la lune
Au bord du lavoir mordoré
Qu'on voit, là-bas, luire entre les branches...

On lui lance à cœur de journée
Une pâture de pistoles
 Qui la traversent sans lui profiter

Et s'en vont sonner
Dans les cabinets
De son piédestal numéroté

Et le soir, les insectes couchent
Dans sa bouche...

Mais elle est rivée à la tribune,
Ouverte à l'amour, ouverte au davier,
Vers la lune qui souffre, au tournant du sentier,
D'une indigestion d'ouate thermogène...

Au loin un follet cherche quelque chose
 Qu'il a perdu dans les roseaux
Et réveille au fond de la mare close
 L'hydrophile noir dans son château d'eau...

Mon enfance triste, à l'affût des charmes,
 Le soir allait te voir bayer,
 Prête à t'écouter, au bord de tes larmes,
Gobeuse de temps couverts, et de blâmes,
 Comme moi, poète, dans mon verger...

Bernard LACHANIETTE Vénus soulevée 2008 Bronze, élément d' un triptyque.



Pour la musique TANCREDE - LUDIONS par Léon- Paul Fargue  Collection Métamorphose XVIII Gallimard ( Edition de 1943, collection Versus )

dimanche 20 mars 2011

Terminer une ligne

Jean Marie STAIVE, original sur papier.

Sachant que Paul Klee dessinait constamment, couvrant de configurations de traits toute surface disponible, des menus de restaurants aux marges de journaux, on peut difficilement s'empêcher de sup­poser que c'était là sa façon de gérer un sentiment interne d'être envahi, de débordement. Cet artiste se plaignait, justement, d'être regardé de toutes parts ; même en voyage à la campagne, il disait : « Ce n'est pas moi qui regardait la forêt », puisque « ce sont les arbres qui me regardaient ». Ce senti­ment d'être « submergé », ajoutait-il, était peut-être la raison pour laquelle il devait peindre.
Il est tout à fait possible d'envisager de la même façon les pratiques prolongées de création de nom­breux artistes. On pourrait penser, par exemple, au caractère presque automatique que les artistes attribuent souvent à leurs propres manières de travailler.
 Il y a ici une sorte de circuit qui va du côté enva­hissant de l'Autre à l'usage de son propre corps pour réaliser des inscriptions. On peut choisir de consi­dérer cela comme une forme de décharge, mais bar­rière ou limite serait peut-être plus juste. Et le moment essentiel dans l'acte d'inscription n'est-il pas, après tout, celui où l'on termine une ligne, une marque, un coup de pinceau ? Cela relève moins d'un art de représenter que d'un art d'arrêter.

Darian Leader, Ce que l' art nous empêche de voir, Payot éditeur.

vendredi 11 mars 2011

Alors, vous griffonnez ?

visage peint sur griffonnage, J.M. Staive

 Certaines personnes ne peu­vent pas rester devant une feuille blanche sans inscrire quelque chose dessus. Quelquefois, les grif­fonnages interviennent à des moments précis : lors­qu'on est au téléphone en train d'écouter les bavardages de quelqu'un et qu'il serait impoli d'in­terrompre la conversation. Aussi innocent qu'il paraisse, le griffonnage est une forme de réponse au côté envahissant de la parole de l'autre, une façon de transcrire non pas ses mots, mais son intrusion. Les artistes ont souvent le sentiment de devoir créer quelque chose à un moment précis, de même que les écrivains peuvent ressentir une urgence extrê­mement forte à écrire quelque chose, même s'ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils vont écrire. De tels phénomènes transitoires consistant à vou­loir avec passion réaliser une inscription sont en effet tout à fait communs au moment de l'adoles­cence de la plupart des gens.

Dans de tels cas, il existe une contrainte à inscrire une certaine sorte de trace, ce qui suggère que ces moments où nous avons le sentiment d' être débordés, il ne s'agit pas seulement de donner un sens à cela, de trouver une signification, mais juste de réaliser une inscription. Il est évident que les humains réagissent aux circonstances douloureuses en essayant d'en faire un récit, mais cette notion d'inscription est bien plus archaïque. Il s'agit moins de construire une histoire que de créer une marque. Quelque chose peut être fixé ou arrêté par le le fait de  créer des marques, comme on le voit par dans le sentiment de soulagement que ceux qui pratiquent l'automutilation ressentent quelquefois après s'être fait une entaille sur la surface du corps. Dans de tels cas, une étape positive est franchie s' il devient possible, peut-être dans le cadre d'une thérapie, de réaliser des traces sur du papier ou sur une  toile plutôt que sur la chair même.


D. Leader, Ce que l' art nous empêche de voir, Petite bibliothèque Payot éditeur.


Une référence en ce qui concerne le griffonnage.


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vendredi 4 mars 2011

Le tableau nous ôte la parole ?

Couverture du catalogue des œuvres graphiques de G. Perros, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux 2005.

IV
Le tableau nous ôte la parole — ô ces gens qui parlent devant un tableau — mais c'est pour nous la rendre. Un peu changée, c'est presque imperceptible. On ne peut plus écrire, souhaiter de le faire, dans le même angle. De cer­tains poètes contemporains, on peut jurer que la peinture a fait basculer leur langage dans une région que le peintre habite. Je pense à Reverdy, à Breton, à Paulhan, à Ponge, à Leiris, à Mandiargues. Voilà de grands jaloux, dont le martyre d'écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquen­tation des ateliers, les amitiés qui s'ensuivirent. On ne pourra décrire l'histoire de notre temps intellectuel sans souligner l'importance de ces rencontres, de ces liaisons, de ces dialogues entre peintres et poètes, dialogues à sens unique, si l'on peut dire, le peintre n'éprouvant aucun complexe au contact froid des mots. Heureux peintres !

V
La peinture, dit ma voisine, ça défatigue.
VI
S'il ne devait plus rester qu'une chose au monde, après je ne sais quelle catastrophe, je voudrais que ce soit un tableau, et qu' à partir de ce tableau, le monde, à nouveau, s'élance. Le peintre est un réparateur, il bricole la Création, jaloux, à son tour, de ces mille objets dans le cœur desquels Dieu s'est caché. Quel incognito !



Georges Perros, Papiers collés 2



agrafage original de STAIVE





Et pour prolonger ce texte de Georges Perros, c' est ici !