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mardi 20 décembre 2011

NAITRE

Collage J.M. Staive


« Naître ! Quel vent comme une eau glacée sur ma face ! Je suis au seuil d'une plaine où le soleil roule avec les cloches dans la brume. Un homme laisse tomber sa faux sur la rosée et chante, chante tourné vers l'orient. Voix jamais entendue, chant jamais appris, cri qui monte vers la lumière, plus haut que toute angoisse, plus haut que les douleurs multipliées. C'est là le monde que vous m'avez rendu ! La belle route couleur de lavande pâlit à chaque seconde. Personne jamais ne l'a suivie, elle aussi est née avec le jour. Et c'est VOUS que ce village attend là-bas pour s'éveiller à l'existence. »

 
Gustave ROUD, Petit traité de la marche en plaine
.


jeudi 1 décembre 2011

Quel dessein, quel dessin trace ta main?

photo versus


" Nul autre organe du corps que les mains n'est en situation de nourrir ces pensées : n'étaient les pieds. Mais leurs doigts courts, nul d'entre eux ne s'opposant aux autres, ne leur laissent d'autre œuvre que marcher et frapper; tandis que l'oppo­sition du pouce aux quatre doigts donne à cha­cune des deux mains une propre opposition interne. Ainsi les mains, énantiomorphes, sont le modèle formel et cependant concret de la pensée, de son faire-œuvre. Elles sont sa condition de pos­sibilité. Et aussi la main s'oppose à la main inverse : non l'œil à l'œil, ni l'oreille à l'oreille, ni aucun autre organe double du corps.
Toute pensée est corporelle. En dernier ressort, elle est manuelle. La main est l'organe le plus délié dans l'agir du corps. Et le travail du corps est sa pensée.
Auguste Rodin aurait sculpté quatre cents mains et davantage, isolées, coupées à hauteur du poignet, sans compter les mains des personnages de sa statuaire.
La «Main de dieu», sculptée par Rodin, est une main droite. La «Main du diable», la «Main de la mort sortant de la tombe», la «Main du pianiste» et aussi les deux «Mains des amants» qui se cares­sent sont des mains gauches.


photo Versus


Après que la main de dieu eut créé le monde et l'homme, il ne lui serait plus resté que son impuissance devant la confusion où Lui et nous cherchons en vain à distinguer le bien du mal : Sa main tantôt s'immobilise dans les grands gestes de Sa colère chassant Adam et Eve du Paradis, vouant au feu Sodome et Gomorrhe; tantôt elle se fige dans une semblable raideur pour le geste de béné­diction. La main du diable, si on en croit Rodin, prendrait, elle, la relève de l'action. Elle pointe les réalités essentielles : le sexe, la mort et la musi­que qui marquent l'origine, la fin et la rythmique de l'activité corporelle.
Les statues agressées par la violence des hommes ou ruinées par le temps, perdent d'abord leurs mains et leurs visages.
Les mains retiendraient tout en serrant leurs poings, n'étaient le vent, l'eau et le sable.
Mais le plaisir de lâcher, pour les mains, n'est pas moins grand que celui de prendre. Elles aiment à laisser couler entre leurs doigts eau, sable et vent, elles aiment l'expérience du vide."

Marc Le Bot La main de dieu, la main du diable Fata Morgana éditeur 1990.

mercredi 16 novembre 2011

De voiles de marée ne dites rien

Port de la Selva photo Versus.



" tourbillonnaire l'univers de gris
vire au grès de lune l'hiver envers
et contre les grummelures de la nuit annulaire
au vu au su au nu des nues de plumes
de vair l'uniterre des fruits replie ses pluies
sur les bulles de bruit de l'aube attention
chut dans les cloîtres du vent
se tailler- un sentier au coupe-couleurs
dans la jungle des évocations marquetées
de voix de fées de voies de miel



Photos Versus fin octobre 2011.


 de voiles de marée ne dites rien
les délicates pinces vermillon sous leur bonnet
 blanc l'œil aux aguets vont agripper
 le pois d'haleine et hop et hop jeter l'encre



Photos Versus oct. 2011




 les crinières philosophiques plglwrst plglwrstt
 trifouillis et miaulouillis mousses
de la raison lichens du cœur lever l'encre
 et hop et hop tourbillonnaire le poisson " (...)




Photos Versus Port de la Selva 2011.







Michel BUTOR, dans les cloîtres du vent,
chanson-compliment bryénologique ( extrait )
In  BRYEN, catalogue du Musée National d' Art Moderne, 14 février - 30 avril 1973.




vendredi 28 octobre 2011

La première page était bleue

Original de J.M. Staive 2011.

 » La première page était bleue. Je mangeais ma soupe avec des pâtes et ces pâtes avaient formes de lettres. Au bout de la maison, ma chambre. Le soir, une lampe allumée. La table était poussée dans l’alcôve puisque je dormais dans la chambre de ma mère. Je vois — c’est l’effet du temps écoulé, le regard intérieur d’au­jourd’hui approche par le dos, jusqu’à presque se fondre en lui, le petit corps assis d’autrefois, drapé dans sa petite robe de chambre —je vois ma position devant l’assiette, celle-ci placée un peu à gauche. Mangeant très lentement, j’essayais de former des mots, n’y arri­vais pas : je péchais les lettres dans la soupe, du bout de la cuiller les poussais et alignais sur le bord de l’assiette. Faïence bleue à large bord, me restent encore quelques plates. La servante, partie chercher la suite du dîner, en revenant promettait de terminer le mot si j’avalais deux trois cuillerées. Je lisais alors les pâtes en souriant. Rien que des majuscules mais douces. Je venais de commen­cer à apprendre à lire avec ma mère, dans ce premier livre (« la lecture sans larmes ») les personnages s’appe­laient toto lili rené, ils avaient de grosses têtes rondes avec une frange, je les trouvais antipathiques. Comme je n’étais pas très appliqué, me fâchais de ne rien y comprendre et voulais toujours fuir au jardin — ma mère s’en plaignit à mon père — quand je prenais plus sagement ma leçon, elle me délivrait un bon point. S’agissait de petits cartons orange, cernés d’un fin liseré de feuilles noires et marqués au milieu « Bon point ». Sur une planche où ils se tenaient tous ma mère en détachait juste un, deux coups du bec de ses ciseaux à couture. À quoi les bons points rassemblés ouvraient-ils droit ? Je crois me souvenir que le marché offert ne paraissait point si alléchant, heureusement que ma mère sut me convaincre. J’ignorais de façon absolue qu’ils me seraient inusables billets passeport monnaie vers des paysages, des rencontres ou des aventures, qu’ils s’échangeraient ma vie durant contre ce long voyage dans la langue, caravanes de mots, train des phrases. »

Jean-Loup Trassard, L' espace antérieur, Gallimard 1993.


A la découverte de l' univers de l' écrivain et photographe Jean-Loup Trassard, ICI

samedi 22 octobre 2011

Un an déjà, un an seulement.




J.M. STAIVE collage .


Voix mauvaises les draperies
En font ces fontaines de miel
Où ta bouche de pierrerie
Crache le vitriol du ciel

Roger Vitrac, Cruautés de la nuit 1927.

mardi 11 octobre 2011

Un nid au plus profond de la nuit

J.M. STAIVE, brou de noix original sur papier ancien.


Une maison au-dedans d'une maison. - Je ne t'ai jamais demandé de m'expliquer ce rêve. J'avais plaisir à t'écouter décrire la demeure immatérielle dans laquelle, de temps à autre, et selon une périodi­cité peu différente d'un rythme planétaire, tu retournais habiter. Tu avais réussi, sans aucun effort, gratuitement, et par une vertu dont personne ne connaît le genre ni l'aliment, ni la discipline, à te fabriquer un nid au plus profond de la nuit. Un nid qui s'était pré­senté à toi dans toute sa perfection la première nuit où tu l'avais rêvé, et auquel tu ne voyais plus rien à ajouter, pas même un brin de paille, pas même un œuf, depuis tant d'années que tu étais tou­jours revenue vers son souvenir. Une maison au-dedans d'une mai­son est un nid dans un arbre, et toi seule l'as découvert, c'est un arbre dans une forêt et tu es la seule à le distinguer. La vérité est que chacun de nous voudrait ne jamais renoncer à la part de ténèbres qui l'environne, et avec toute l'horreur que nous avons de la mort, nous voudrions nous sentir déjà aveugles et défunts, lon­guement, dans cette vie. Une maison dans une maison, dis-tu : mais il ne te vient pas à l'idée que c'est ton lit, que c'est ta bière quand tu dors, quand tu rêves - quand tu ne nous appartiens plus.

Leonardo Sinisgalli, Horror Vacui, édition Arfuyen 1995.





Publications des oeuvres de Sinisgalli en traduction française, ICI.

mercredi 28 septembre 2011

Labile, labial.

J.M. STAIVE œuvre originale


 "Le nom fixe, il arrête, il donne contour. Il recouvre. Il ne peut dire la dérive qu'en la figeant (sans provoquer l'échouage, mais en la stoppant comme saisie, ou en la surprenant comme sous un coup de projecteur). Comment le langage fera-t-il pour ce qui ne souffre ni limite ni visage? D'un écoulement perpétuel, comment rendre compte? D' autres hémorragies, le langage est venu à bout : il a cicatrisé avec les mots, il a pu parler par exemple de l'eau, en l'enfermant dans le récipient de son discours, il a enclos les nuages dans l'orbe du ciel. De ces objets en dérive, il a considéré l'ob­jet et laissé la dérive. Et si c'était déjà cependant approcher la dérive que de décrire ce qui en est affecté, que dire de la dérive elle-même, sans pas­ser par ce qu'elle affecte? Y a-t-il un langage pos­sible de la dérive, cette hémorragie d'une réalité devenue hémophile?
Voici.
Voici le monde muet, non par antécédence au langage, mais par évacuation du langage : un courant emporte les mots, l'écoulement les balaie, les engloutit, les noie. Ce monde muet est un monde du Déluge : purification, effacement des plis, table rase. Et les mots glissent, les voyelles sont inondées, les consonnes voient leurs fonda­tions s'ébranler. Perdre pied, pour celui qui parle, c'est alors se laisser submerger par sa propre logorrhée. Grandes eaux de paroles qui lavent et noient. Évacuation de ces grandes eaux à la fois faites de cette masse liquide de logorrhée et souil­lées par les mots qui s'y pressent. Évacuation des eaux usées pour laisser place nette, étouffement des sons articulés, place nette au silence : un silence bruissant encore, mais d'un bruissement  indifférencié, un bruissement de gommage : la dérive même, ce murmure sourd. Et son langage.
De cette subversion labile, où tout glisse et s'écoule, on parvient ainsi à ce fond où parle  l'hémorragie elle-même. Sur ce fond de murmure, sur cette place nette de mots articulés, peut alors naître une nouvelle articulation, mouvement des lèvres, d'abord timide, labial d'après labile, nouveau langage, sur fond de langage car dérive. Langage rafraîchi. "

Daniel Klébaner, Poétique de la dérive Collection Le Chemin Gallimard 1978.

dimanche 11 septembre 2011

Qu' est-ce que la peinture ? Faire quelque chose qui n' a pas de nom, quoique cela se trouve devant les yeux. Francis Picabia

Carte postale retouchée, Jean-Marie STAIVE


" Il faut savoir gré à Friedrich Nietzsche d'avoir osé reformuler le dispositif de la pensée à partir du point de vue de l'art. En effet, faire de l'art la perspective privilégiée de la pensée, c'est remettre du même coup en question ce qui jusqu'alors la définissait, à savoir le rapport d'immanence du langage à la vérité. C'est admettre que le langage puisse être à tout moment débordé par le flux et la prolifération des simulacres, c'est-à-dire par une dimension faite d'approximations, de traductions et de trahisons... En d'autres termes, c'est reconnaître le pouvoir constitutif de l'illusion : « Nous vivons assurément, remarque Nietzsche, grâce au carac­tère superficiel de notre intellect, dans une illusion perpétuelle : nous avons donc besoin, pour vivre, de l'art à chaque instant. Notre œil nous retient aux formes. Mais si nous sommes nous-mêmes ceux qui avons éduqué graduellement cet œil, nous voyons aussi régner en nous-mêmes une force artiste » .


J.M. STAIVE

A la différence de la philosophie et de la religion, l'art traite de l'apparence en tant qu'apparence. L'art dès lors ne possède aucune illusion sur ce monde étant le lieu même de l'illusion ; ce qui lui donne sa dimension tragique.
Nietzsche ne s'intéresse pas à l'art comme à n'importe quel objet au monde. L'art s'est imposé à lui comme ce qui était au plus près de la nature des choses, comme le mouvement à l'œuvre dans la vie elle-même. Profondé­ment superficiel, à la fois ludique et pathétique, à la fois représentation apollinienne et ivresse dionysiaque, l'art est le lieu de tous les paradoxes, de toutes les dissimula­tions, de tous les dévoiements, de tous les malentendus... Il ne peut que s'opposer au désir de transparence du discours philosophique tout entier pris dans la fiction - ne se sachant jamais comme fiction - de la « vérité », de la « présence » et de « l'origine ». A l'image des convul­sions et des confusions du mouvement de la vie, l'art est pour Nietzsche seul susceptible de penser le monde, puisqu'il est la pensée même de ce monde :
« Chez l'homme cet art de la dissimulation atteint son sommet : l'illusion, la flatterie, le mensonge et la tromperie, les commérages, les airs d'importance, le lustre d'emprunt, la part du masque, le voile de la convention, la
comédie pour les autres et pour soi-même, bref le cirque perpétuel de la flatterie pour une flambée de vanité, y sont tellement la règle et la loi que presque rien n'est plus inconvenable que l'avènement d'un honnête et pur instinct de vérité parmi les hommes » .

Carte postale retouchée de J.M. STAIVE


Pour Nietzsche, la philosophie a toujours feint d'oublier les origines de la pensée qui ne sont pas aussi « nobles » qu'on voudrait le faire croire. La perspective généalogique replace la pensée dans le contexte qui l'a fait naître, celui du mensonge et de la confusion . Le concept n'est pour Nietzsche que le moment le plus tardif de la pensée. Avant que de se solidifier dans le langage, il existe un état de la pensée plus près des sens, plus près du corps... Derrière l'affrontement historique de l'art et de la philosophie se profile celui de la pensée en images (Bilderdenken) et de la pensée par concepts (Begriffsdenken) . Cette guerre contre l'image menée par le concept renvoie à cette haine des sens caractéristique de tout idéal ascétique. Ce dernier ne peut en effet concevoir une pensée issue du corps et fait tout ce qui est en son pouvoir pour dissimuler cette origine coupable. Dans cette perspective, l'art est là pour rappeler que les rapports entre « l'âme et le corps » sont plus complexes que ce que la tradition idéaliste veut bien nous laisser entendre, qu'il existe des modes de pensée qui demeurent irréductibles au langage. La perspective généalogique nous ouvre ainsi la possibilité de pouvoir envisager une pensée qui ne soit plus une pensée sur l'art, mais une pensée artiste qui se déploie par-delà les contraintes logiques — ou théologi­ques — de la vérité."

Bernard Marcadé  Eloge du mauvais esprit, Editions de la différence, 1986. 



dimanche 28 août 2011

L' insigne enseigne

Photo versus juillet 2011.




" Il y a  les odeurs, les rumeurs, les couleurs crues des enseignes. Ces dehors mettent hors de lui l'écrivain, l'expulsent de son huis clos.  Repensant à ces signes mis à la rue, parmi les déchets, les rebuts, les ombres des promeneurs, l'écrivain voit la déchéance de ses lettres, qui lui servaient de rempart, secouées par le vacarme, éprouvées par l'histoire. Le discours bruyant de la ville l'assiège dans sa  retraite. Au mieux, la plume en main, il retrouve un équilibre dans le peintre en lettres maniant le pinceau qu'évoque Tardieu, que Butor reproduit, peint par John Segal, à la dernière page des Mots dans la peinture, ou dans le colleur d'affiches levant sa longue brosse que Gavarni dessinait déjà, en frontispice des Français peints par eux-mêmes, penché acrobatiquement sur son échelle, étalant au mur une affiche dont les  lettres donnaient le titre du livre. L'attention à des indices qui révèlent  que « la forme d'une ville/ change plus vite, hélas ! que le cœur  d'un mortel » suppose le portrait de l'artiste en badaud, en promeneur curieux, tel qu'il apparaît à la fin du XVIIIe siècle. Rétif  " hibou "   des nuits de Paris, Poe et Baudelaire « hommes des foules », Apollinaire « flâneur des deux rives », Fargue « piéton de Paris », Aragon  « paysan de Paris » étaient nécessaires pour que cette attention aux  enseignes, aux placards muraux, prenne place dans l'écriture. Tels journaux antérieurs d'un « bourgeois de Paris » ou de Londres,  attentifs à la vie quotidienne, de Pepys ou de Boswell, tel voyageur comme le président de Brosses, qui se pique pourtant de consigner « petites aventures, détails inutiles, faits nullement intéressants », ne jettent guère les yeux sur les enseignes ou les panneaux. Ils voient la rue ou les monuments, mais ne les lisent pas. Il faudra considérer comme Mercier « la physionomie d'une grande ville », comme Balzac et Dickens, la « physionomie d'une rue » et la décrypter comme la phvsiognomonie fait d'un visage: « fantasmagorie du flâneur: déchiffrer sur les visages la profession, l'origine
 


Versus/ juillet 2011.

et le caractère » (Benjamin). Le sentiment de la modernité de Bau­delaire, l'injonction de Rimbaud, « il faut être absolument moderne », ont donné un corps urbain aux sentiments intimes. Il y a eu l'expé­rience du choc, mise en lumière par Benjamin, et sa résorption en lisibilité de la ville, semblable à un livre. Reverdy voit que « le bou­levard est plein de signes, entre les deux trottoirs » (Flaques de verre), Fargue « tourne la page de la rue », « feuillette le boulevard comme un album », « déchire l'album des rues et des boutiques » (D'après Paris), le regard de Calvino « parcourt les rues comme des pages écrites » (Les Villes invisibles) et flâner, pour Franz Hessel, « est une sorte de lecture de la ville dans laquelle les visages humains, les éta­lages, les vitrines, les terrasses de café, les trains, les autos, les arbres deviennent autant de lettres à égalité de droit ». Pour Benjamin le flâ­neur « délaissé dans la foule » a le même statut que la marchandise, il s'abandonne à l'ivresse de « la marchandise que vient battre le flot des clients ».
 Dans la rue les lettres se donnent en spectacle, elles manifestent, avant de se déployer dans des banderoles de manifestations. L'al­phabet prend en charge l'éphémère, apparaît, disparaît aussi vite que lui. Ces lettres parlantes se voient sur les éventaires des petits métiers, les installations ambulantes, les ventes à la sauvette. ( ... ) "

Jean-Claude Mathieu  Ecrire, inscrire, José Corti éditeur 2010.


Photo Versus,  juillet 2011.

lundi 8 août 2011

Allons-nous laisser une trace ?



Photo Versus


" Tous les groupes humains font des marques sur les surfaces. Cela crée des différences : les objets se distinguent les uns des autres, ils deviennent des symboles de rang ou de prestige, ils acquièrent plus de valeur ou incarnent d'autres fonctions spécifiques. Faire des traces introduit donc des systèmes symbo­liques, où chaque objet prend une valeur relative à sa position dans le réseau des autres objets. De tels systèmes, dont l'exemple privilégié est le langage parlé, s'imposent aux êtres humains dès le moment où ils naissent, et même sûrement avant. Les désirs et les fantasmes des parents précèdent ceux des enfants, et le simple fait de dire : « C'est une fille », ou : « C'est un garçon » porte en soi toutes les hypo­thèses, les suppositions et les idéaux qu'un parent peut avoir quant à la signification de ces termes.
Nous naissons dans un univers de signes et, du point de vue psychanalytique, l'expérience de la
perte en est une des conséquences principales : la perte de la mère due aux interdits du complexe d'Œdipe, la perte de la jouissance du corps due aux contraintes de l'éducation, et les différentes formes de perte qu'impliqué l'émergence de la parole et du langage. Et la perte crée le désir, l'aspiration à retrouver quelque chose que nous croyons avoir possédé autrefois. L'art fournit un espace unique à l'intérieur de la civilisation pour symboliser et éla­borer cette quête.


Photo Versus 2011


Une surface peinte, pour prendre l'exemple le plus simple, peut indiquer quelque chose au-delà d'elle-même ; elle délimite un lieu inaccessible. De nombreux mythes sur l'origine de la peinture, que l'on trouve chez Pline et jusqu'à la Renaissance, relient celle-ci à l'acte de tracer une ombre, et donc, en un sens, d'encadrer une absence. En effet, on ne peut pas saisir une ombre puisqu'elle manque de la substance d'un corps. Mais, fait également signi­ficatif, les œuvres d'art occupent des espaces privi­légiés, qu'il s'agisse des recoins des grottes ou des niches aménagées par le marché de l'art. De même que les traits et les traces qui coupent les contours des formes de l'art archaïque rendent ces formes différentes, de même la place que le marché de l'art accorde aux œuvres les rend uniques, différentes de tout autre objet. Elles habitent un espace spécial.
En termes lacaniens, les œuvres d'art occupent la place de la Chose, qui ne peut jamais être repré­sentée en tant que telle, mais simplement évoquée comme un au-delà. Il y aura donc toujours une ten­sion entre l'œuvre d'art et la place qu'elle occupe, et on a soutenu que l'art moderne vise à préserver l'écart minimal entre la place et l'élément qui vient 

Photo Versus 2011

s'y mettre. Bien que beaucoup de gens aient vu dans l'émergence des ready-made de Duchamp le signe de la destruction de l'art, cette perspective implique qu'ils en ont simplement extrait la structure fonda­mentale, soit la tension entre l'œuvre et l'espace où se trouve cette œuvre. D'où l'importance de Carré noir de Malevich, une œuvre qui n'est rien d'autre que le contraste entre le fond blanc - la place - et le carré noir - l'élément qui l'occupe. Et comme des objets sexuels traditionnellement tabous peuvent être représentés aujourd'hui sans trop de problèmes, l'idée d'un « au-delà » est réduite à quelque chose de purement formel. Ce qui compte, c'est que la distance entre l'œuvre et la place qu'elle occupe soit maintenue."

Darian Leader, Ce que l' art nous empêche de voir, Petite bibliothèque Payot 2011.


mardi 26 juillet 2011

Le sable propice aux mirages ?

Agrafage original de Jean Marie STAIVE


" II existe des lieux, des moments, où le visible s'es­tompe, où tout s'évanouit. C'est un brouillage, un effacement, une résorption des figures dans des surfaces mornes. Ça fait des vides pour les regards ou des pleins monotones. Mais, réellement, ce ne sont ni vides ni pleins. Ces choses-là ne sont pas des choses. Elles sur­viennent, ce sont des événements. Par exemple, tout s'ensable.
Les brouillages de la vue ont un lieu, ont un temps. Mais, tout s'y mêlant, tout s'y perd. Le temps, les choses, tout disparaît dans un chaos : parfois c'est la poussière ou c'est l'ensablement; Léonard de Vinci cite les eaux troubles, eau et sable mêlés, où la vision se noie. Or que tout disparaisse, soi-même on est perdu. Comment existerais-je visiblement si plus rien du dehors n'est distinct? Plus rien ne s'opposant à rien, ne s'opposant à moi, et sans rien que je reconnaisse, comment me reconnaître, moi?




Ces confusions sont aussi des plaisirs. Quand ça s'évanouit et que tout se perd, c'est le désir des yeux ou leur consentement. Les yeux aiment à jouer la vie la mort dans l'indistinct. D'un chaos, ils voudraient faire une image et telle qu'eux-mêmes y soient mêlés, telle qu'ils n'en soient pas distincts. Ça peut leur venir d'une angoisse; pour eux, c'est au moins un vertige. De l'effacement des marques, de ses effets, on parle pourtant avec douceur.
Voici des peintres fascinés par le sable et le trouble des yeux. Jean Dubuffet observe sur les dunes le passage de l'empreinte à la trace, puis à rien ou à tout. Il parle du désert saharien. Pour Piet Mondrian, pour André Masson, ce furent les dunes de la mer et les plages.
Ici et là : le sable où l'on ne séjourne pas. On y passe, on y laisse des traces fragiles; ou c'est le vent. Aussi le sable n'est-il ni tout ni rien. Sa multitude et son indis­tinction ne restent jamais sans marques, même si ces marques sont rnobiles. Quand des dunes s'éboulent ou que le vent souffle, l'effacement des marques, la venue d'autres rides, se succèdent dans un mouvement incertain. Ça fait un va-et-vient. Le sable est un lieu équivoque, marqué et non marqué, toujours à la limite du visible et de l'invisible.




Aussi, parmi tous les déserts, le Désert, tel qu'on l'imagine, est de sable : le sable fait du désert une image de l'infini telle que les yeux aiment à l'imaginer. Les yeux désirent aller vers un point nul de visibilité. Ils cherchent un lieu qui serait indifféremment vide ou plein. Ce lieu, ils ne l'atteignent pas, c'est un imaginaire. Ils s'y portent pourtant. Ils cherchent à défier ce neutre qui les menace d'aveuglement. Puis ils reviennent à soi. Ces mouvements inversés sont sans fin. Ils miment les va-et-vient des rides sur le sable. Les yeux en tirent un plaisir. "

Marc Le Bot L'oeil du peintre, Gallimard collection Le Chemin 1982.







Illustrations, J M Staive. Daily Emotion .

jeudi 14 juillet 2011

Vous avez dit : asphyxiante culture ?


" Il n'y aura plus de regardeurs dans ma cité ; plus rien que des acteurs. Plus de culture, donc plus de regard. Plus de théâtre — le théâtre commen­çant où se séparent scène et salle. Tout le monde sur la scène, dans ma cité. Plus de public. Plus de regard, donc plus d'action falsifiée à sa source par une destination à des regards s'agisse-t-il de ceux propres de l'ac­teur lui-même devenant, dans le moment qu'il agit, son propre spec­tateur. Dans le moment qu'il agit? Ce ne serait que demi-mal. C'est avant même d'agir que l'inversion s'opère, l'acteur se transportant dans la salle avant d'agir, en sorte qu'à son action s'en substitue une autre, laquelle n'est à vrai dire plus du tout la sienne, mais celle d'un autre, qu'il se donne en spectacle. Tel est l'effet du conditionnement de la culture. Elle entraîne pour l'action de chacun d'être remplacée par celle d'un autre. Mais nous qui sommes conditionnés, qui ne pouvons pas nous défendre de nous regarder agir, qu'allons-nous faire ? Nous allons tendre nos efforts à nous regarder moins. Au lieu de consentir  au  principe  du  regardement et de nous y   complaire,   au lieu d'argumenter de ce  que  doit être un bon spectacle (et un bon regard) nous allons essayer de fermer un peu les yeux, détourner la tête, au moins par courts moments, et pro­gressivement   un   peu   plus   longs; nous allons nous entraîner à l'oubli et à l'inattention, afin de devenir, je ne dirai pas entièrement (c'est bien   sûr  impossible)   mais   peu   à peu  au moins  davantage,  le  plus que nous le pourrons, acteurs sans public. Ne vous arrêtez pas un ins­tant à l'objection que ma cité est une   étoile   hors   de   portée ;   ce n'a  pas  d'importance   qu'il  y  ait au bout d'un chemin l'absurde et l'impossible   :  il y  a l'absurde  et l'impossible   au  bout  de   tous   les chemins si on les suppose rectilignes. C'est le sens dans lequel on marche qui est efficient, c'est la tendance, la posture. De ce qu' il y aurait au bout du chemin ne vous souciez pas. Il n' y a pas de bout aux chemins, pas de bout qu' on atteigne."
 
Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Jean Jacques Pauvert éditeur 1968.




Edition originale de la revue l' ARC consacrée à Jean Dubuffet, 1968.


Quelques instants ici, avec l' univers pictural de Jean Dubuffet. 

vendredi 1 juillet 2011

Georges Borgeaud préface Gino Severini - Témoignages 1963.





Tout art est une perpétuelle réinvention de l'esprit et non point, comme on le croit d'ordinaire, le résultat d'une multiplicité d'inventions techniques plus ou moins extrava­gantes. D'ailleurs, aujourd'hui, l'improvisation est devenue loi commune et plus rien ne nous étonne. Les sources de la création ont été piétinées, les secrets violés et livrés par les peintres eux-mêmes, mais rassurons-nous ce ne sont que des secrets de polichinelle. Tout le monde se mêle de ce qui, auparavant, n'appartenait qu'au créateur. Ce dernier s'est laissé distraire de son but, détourner de ses dons, égarer par la flatterie. Aurait-il pris horreur sa solitude ou bien les critiques, les marchands de tableaux, voire les collection­neurs, ont-ils gagné trop d'importance sur ses jugements et son travail ? Jamais on a tant " fait " de peintres, tant découvert de génies ou de talents, énoncé tant de théories esthéti­ques, proclamer autant de tabous. Public et galeries ont dressé des chiens savants, oubliant qu'il n'appartient ni au spectateur, ni au marchand de contraindre l'artiste, de lui enseigner ses voies.
Dans ces conditions, malheur à celui qui résiste aux pressions ! Malheur à celui qui à toutes couronnes préfère l'indépendance, l'imprévisible, la joie, les tourments, le doute, la force et les hésitations, le désintéressement toutes vertus contradictoires qui, autrefois, étaient la gloire de l'artiste, le garant de sa liberté. Maintenant, les peintres sont entrés dans l'ère d'un habile artisanat ou peu s'en faut. Si ce n'est plus, apparemment, l'École des Beaux-Arts qui fabrique l'art officiel, ce sont les galeries d'avant-garde où les poncifs et les lieux-communs se retrouvent aussi opiniâtres qu'ailleurs.

Georges Borgeaud en 1987, photo Versus.

Prendre systématiquement le parti de la modernité contre la permanence est une con­vention aussi détestable et limitative que celle de la classicité de hier, classicité que l'on confond avec l'académisme. Le hasard et les improvisations, pour reprendre les termes de Severini, ne sont pas des valeur absolues, ni un signe indiscutable d'audace. C'est oublier l'essentiel, ne s'attacher qu'à des détails de facture. Le renouvellement ne s'opère pas à la surface des choses. C'est jeter l'eau du bain avec l'enfant. La révolte, le besoin de renou­veau sont des mots d'ordre qui vieillissent aussi. Les intentions s'usent, mais non point le pouvoir de l'imagination. Méfions-nous donc des directives, des conseils qui font l'una­nimité d'une époque. Ce n'est pas là que les choses se passent. Toute expression meurt d'être conduite, flattée, portée par le courant. La part insaisissable d'une œuvre est plus secrète et plus inacessible. L'art est revendication personnelle, prise de conscience de soi, lyrisme imprévisible et débordant, non point une manière de se singulariser, ce qui est à la portée de tous. Le temps est venu de quitter la foire aux idées, l'éventaire des camelots et des badauds, les officines où se débattent des problèmes oiseux, où il est posé aux peintres des questions dont la réponse n'a de l'intérêt que transportée sur la toile. Les doctrines tuent l'élan, contraignent le cœur et l'imagination, appauvrissent ceux qui s'y plient sans esprit critique, surtout quand ces débats tiennent leurs assises, dans la rumeur du mercantilisme international et non plus dans la part secrète de celui qui crée, dans son intégrité, dans le silence de son esprit. Le mystère se tient là. Il ne faut pas laisser le flacon évaporer son parfum.

Georges Borgeaud, extrait de la préface à Témoignages par Severini, Editions art moderne, Rome 1963.

ICI, encore un peu de l' univers pictural de Gino Severini


mercredi 15 juin 2011

Le toucher des doigts est l' épreuve de réalité

Sanguine originale, école de Fragonard sur papier du XVIIIème, collection versus.


" Le toucher des doigts est l'épreuve de réalité. Il confirme l'ouïe, l'odorat, la vue dans leurs expé­riences. Toucher du doigt est l'épreuve de vérité. Peau contre peau, les mains prennent contact avec la matière. Elles engagent tous les sens dans un corps à corps. Les mains ne sont pas seulement actives par elles-mêmes. Elles concourent à toutes les activités du corps.
Les travaux de la main le démontrent : c'est un corps qui pense. Quel corps ? de caresse ou de vio­lence ?



Sanguine originale sur papier du XVIIIème. collection privée.


 Ouvrière, la main ajoute ou retranche de la matière à la matière. L'art du sculpteur met à jour cette double et contraire démarche des mains. Michel-Ange dit : on sculpte avec la terre glaise per forza di porre, en ajoutant de la terre à la terre; on sculpte le marbre per forza di levare, en taillant avec le ciseau, en arrachant la forme à l'informe du bloc de pierre. Mais, dit-il, la terre molle n'oppose aucune résistance. Elle est inerte. D'elle-même, elle ne demande rien. En regard d'elle, le sculpteur tâtonne. Qui, au contraire, sculpte le marbre en taille directe, affronte la forme dans la violence et le défi, entre en rivalité avec la matière.


Couverture de La Main, texte de J. Brun, Robert Delpire éditeur 1967.




Michel-Ange est injuste de mépriser l'art du modelage, de louer les seuls travaux violents. Il montre, du moins, que dans l'art du sculpteur les travaux des mains découvrent leurs formes extrê­mes ou pures. Que la matière soit malléable ou dure, on touche à l'essentiel : les arts démontrent que la pensée est un affrontement du corps-pensée au corps matériel de sa «langue». Que dans toute pensée ce soit un corps qui pense, ceci est la propre vérité que pense l'art. Et, s'il avait été bienveillant, Michel-Ange eût pu dire de la sculp­ture ce qui est vrai de tous les arts : elle aussi va de la cruauté à la tendresse."

Marc Le Bot, La main de dieu, la main du diable. Fata Morgana éditeur 1990.


lundi 6 juin 2011

Un visage est un corps blessé




" Des neuf orifices du corps, sept s'ouvrent sur le visage. Tous exsudent des sécrétions, trois d'entre eux, les narines et la bouche, ingèrent quelque chose des matières extérieures; les yeux et les oreilles sont des membranes sensibles. Parfois l'excrétion et l'ingestion semblent une même chose, la bouche qui bave est aussi une image de la dévoration; mais toujours, lorsque le dehors et le dedans passent l'un dans l'autre, la confusion tourne au vertige. C'est pourquoi le visage fascine par ses ouvertures, comme fascinent tous les lieux ou des signes contraires se mêlent. La violence et la passi­vité, mais aussi l'accueil sensuel ou douloureux de l'ex­térieur, y disposent des mêmes organes; ils y disposent  aussi des mêmes marques matérielles que sont la salive et les larmes.
On découvre dans l'art cette double symbolique du visage, son ouverture à double sens, le dehors forçant la fermeture du corps, le dedans dévorant le dehors. Francis Bacon peint un magma de chair où se repère, seule, une bouche ouverte avec ses terribles dents. Les anagrammes corporelles de Hans Bellmer entrelacent les formes du visage avec des fragments du tronc et des membres, parfois avec des surfaces extérieures au corps.





Antonin Artaud veut savoir ce qui est en jeu, pour la peinture, dans la figuration des visages. Un jour de 1947 qu'il présente une série de ses dessins (ce sont tous des figures, ce ne sont pas tous des portraits), il écrit que le visage humain est une force vide, un champ de mort; qu'il n'a pas encore trouvé sa face, que c'est au peintre de la lui donner. Pourquoi, cette face inaccom­plie, son air de vide ou d'espace ravagé (son apparence, dit Artaud, d' « antique architecture mortelle qui s' arcboute sous les arcs de voûte des paupières et s' encastre dans le tunnel cylindrique des deux cavités murales des oreilles »), si ce n'est parce que sa structure caverneuse évoque l'agression et semble en même temps mutilée? Pour Antonin Artaud comme pour Hans Bellmer et Francis Bacon, la sensualité du visage se résout en vio­lence. Ce que provoquent d'horreur attirante la blessure et la mutilation, qu'elles soient données ou reçues, cela se joue par la mimique de la face, gueule ouverte, yeux exorbités. Quant au vide, avec la suggestion des trous oculaires et auriculaires, c'est lui qui creuse ces « quatre ouvertures du caveau de la prochaine mort ».
Un visage est comme un corps blessé. Le peintre des visages fait l'épreuve de ce que les traits de la face révèlent de cruauté vulnérable. Il les voit se figer sous son propre pinceau. Il y creuse lui-même des cavités noires : les yeux des dessins d'Artaud, les bouches grand ouvertes des papes de Francis Bacon. Bacon cite Giacometti. Lui aussi creuse, il évide les faces qu'il peint. Rien n'est plus vide que leurs yeux. Le cercle de la prunelle y est la dernière boucle d'une spirale faite de traits entrelacés qui s'inachève là sur un fond noir. C'est pourquoi Antonin Artaud peut croire à une dynamique qui serait celle du visage, du corps entier, et celle de leurs images. La face est percée d'orifices parce qu'elle est inachevée : il partait, ce visage, pour être autre chose que le corps. Au milieu de dix mille rêves, ses traits ne cessent de pilonner leur forme « comme dans le creuset d'une palpitation passionnelle jamais lassée
».






Selon Antonin Artaud, la peinture est un pilonnage des formes. Elle est un mode de la passion des corps dont elle modèle les effigies. Elle tenterait de préfigurer un avenir des visages qui eux-mêmes entraîneraient les corps vers un accomplissement; et cet accomplissement, si on l'imagine, devrait peut-être combler tous ces trous et ces vides, plus de failles entre dedans et dehors, jus­qu'à ne plus dissocier l'un de l'autre et qu'ensemble ils fassent corps
.



J.M. Staive pour les collages et agrafages.







Peut-être cet inimaginable est-il le désir qui hante maintenant bien des images du visage. L'espace cesse d'y figurer comme le contenant vide de formes pleines. Vides et pleins se pénètrent entre eux. Les figures, dans ce qui ne peut plus sans doute être nommé « portraits », semblent des concrétions accidentelles dans des conflits locaux. Elles sont comme des effets d'espaces. Peut-être est-ce bien un désir nouveau de la peinture, d'entre­mêler les figures et les lieux. "

Marc Le Bot, L' oeil du peintre, Ed. Gallimard. 1982

lundi 23 mai 2011

Silence fabuleux





Silence fabuleux

Celui désormais de Janine Mitaud Ibrahimoff.
Le silence rayonnant de son œuvre depuis les moments de la rencontre.
Comment dire précisément ce qui peut déterminer une passion encouragée pour la poésie. Ce contact avec les plus exigeants d' entre eux sur un mur de la poésie en banlieue parisienne. Ce mur où pour la première fois un directeur de revue accepte d' afficher votre poème en compagnie des grands poètes français et étrangers du moment.
Le double et chaleureux accueil de la poétesse et du poète.

Vous sentez la tâche qui vous reste à accomplir mêlée au bonheur d' être en leur présence. Moment crucial, moment panique d' un monde particulier qui s' ouvre à vous. Moment indélébile qui vous fait être autre dans un chemin qui vous aspire, qui vous ronge et vous angoisse à la fois.
Pourquoi et comment une rencontre compte désormais de façon aussi importante pour vous ?
Ils m' ont ouvert un monde de poésie qui trace son chemin ainsi que l' amitié des poètes que je ne croyais jamais atteindre.
" Cet éclair me dure " pour reprendre une superbe expression du poète René Char. Celui-là même qui préfaça un recueil de poèmes de Janine Mitaud, " L' échange des colères " que publia l' éditeur René Rougerie.
Silence fabuleux, oui, silence de Janine Mitaud Ibrahimoff qui ne finit pas de bruire,d' élever des chants d' oiseaux en ses poèmes parmi les feuilles du cimetière de l' Orme à Moineaux aux Ulis depuis le neuf mai 2011 à dix heures du matin.

Versus.


Poèmes extraits de Silence fabuleux 1951 



  
Présence de janine Mitaud avec son poème prenez les gens..







Recueil typographié par Alain Sanchez avec une mise en page d' Ania Staristky




Sérigraphie de A. Szabo pour le tirage de tête de DANGER publié par Rougerie en 1974






 L' ensemble, collection privée et droits réservés.