traduire/translate

vendredi 31 décembre 2010

Fête du dehors.






Le homard de Macédoine
Ayant contrarié le proconsul bienséant
Le dégustateur de basalte
Rit dans son pluviomètre à salamandre déployée

Moralité :

Le lendemain prenez un bain d' ébène


Jehan Mayoux, Fables.

P. Alechinsky,Titres et pains perdus, Denoël 1965.

jeudi 30 décembre 2010

Fête du dedans.





Pour une nuit
La confiance des hommes
Appartient à un seul                               Jehan Mayoux

dimanche 26 décembre 2010

Sans s' attacher à rien.

Ce sont les feuilles bruissantes par terre
Qui disent ce retour des mêmes sentiments.
Se superposant à ceux de l' année dernière
C' est flou et par instant il semble que l' on ment. 
 



                                                    NATURE

En traversant la vie sans s' attacher à rien
D' autre qu' au fruit méprisé du grand nombre,
On creuse dans ses nuits un vide qui devient
Lourd à porter, vide qui vous encombre !
Jusqu' au jour où le remplissent brusquement
Les orages, les silences des éléments.


Alors légers de bagages humains
Nous pouvons savourer les origines,
Amalgamer aujourd' hui à demain :
Richesse de l' instant qui s' imagine .



Edith Boissonnas, Paysage Cruel, collection Métamorphoses, Gallimard éditeur, 1946 .

samedi 25 décembre 2010

Et si le Père Noël était une femme ?

Mary Martin, Christmas, circa 1942, Kobal Collection.Striking poses de R. Schickel. Pavilion ed.


J' aime une femme plus belle qu' un débarcadère
plus douce que les transports en commun
plus intelligente que le grisou
plus présente que le tour du monde
plus ingénieuse que la plume dans le tube de Newton
plus spirituelle que la marée
plus sage que la hâte des suicides
plus nue que la mousse
plus discrète que l' écorce du tonnerre
plus silencieuse que Paris
plus gaie qu' un grain de sel
plus légère qu' un couteau
plus calme qu' une ruche
plus sensible qu' un précipice
plus aventureuse que les pierres
plus claire que le sang
plus blonde qu' un cadran
plus brune que la pluie d' été
plus voluptueuse qu' une aiguille
plus fière qu' un plafond
plus délicate que le granit
plus élégante que les lichens
plus fidèle que le vert - de gris
plus secrète que l' heure présente
plus vibrante que le sperme
plus transparente qu' un geste accompli en rêve
plus cruelle que la rosée
plus inventive que les nombres premiers
plus arborescente qu' un oeuf
plus étrange que le signe +
plus passionnée que les ornières
une femme pareille à une femme

Jehan Mayoux ,Oeuvres poétiques Atelier de création libertaire éditeur, 1997.

Ami très proche de Yves Tanguy et de Benjamin Péret, Jehan Mayoux ( 1904 - 1975 ) est évoqué par son autre ami Pierre Dhainaut comme : " poète irréductible et secret, appartenant à la grande lignée surréaliste ; je le situe volontiers entre Péret et Scheadé : la féerie, la malice encore."

mardi 21 décembre 2010

La réalité est une putain.






 " Les contrôles-radar fixent un seuil de tolérance à partir duquel la contravention tombe automatiquement. Dans ce cas, notre indignation n' est jamais si vive que quand c' est le seuil de vitesse exactement, au centième près, que nous avons atteint. Or, je ne sais quel physicien faisait la remarque suivante : le radar fonctionne par un bombardement de particules, les photons, sur un objet métallique en mouvement ( la partie arrière de notre voiture en l' occurrence ); on devra alors admettre que ce flux énergétique contribue si peu que ce soit à accélérer le mouvement dudit objet juste assez pour entraîner le franchissement du seuil réglementaire. Ce qui nous met en position non seulement de contester la contravention, mais d' exiger qu' elle soit infligée en notre faveur aux services de police qui nous ont mis en danger !
                 Nos théories et nos croyances les plus niaises sont comparables à ce radar censé garantir une objectivité scientifique, et qui, mine de rien, provoque tautologiquement ce qu' il prétend enregistrer. La réalité, quant à elle, s' y prête avec une servilité surprenante. Une théorie, répétons-le, s' avère par le seul fait qu' on y croie. On sait que le terme de " péripatéticien " a commencé par désigner les premiers philosophes grecs qui arpentaient les rues en quête de dialogue et de vérité ontologique ; puis il s' est appliqué aux filles publiques. Cette évolution sémantique, qui va de la métaphysique à la prostitution, est significative : la réalité elle aussi fait le trottoir, elle s' offre complaisamment aux spéculations, aux théories, aux mythologies et aux superstitions de tout acabit ; à l' instar de ce que promettent les petites annonces érotiques, elle assouvit sans aucun tabou tous nos fantasmes explicatifs. Tout bien considéré, on doit admettre que la réalité est une putain. "


Michel Thévoz, Tout va bien, Favre Editeur 2004.




Photo de couverture du livre :"Pink Dollar Bill " de Douglas McPherson.



jeudi 16 décembre 2010

L' art naissance




Si la fin te recommence
tirant le cordon du son
Est-ce fissure ou comédon ?


- La voyelle te regarde
La consonne est en hérisson
tourneboulons dans le oui non

sciure de moi
             la connaissance
Séchant le suint du hasard
- suinter  suer  mouiller
ce buvard et ce feuillet

Il va dérouler sa peau
Entre l' air et entre l' os



Camille Bryen, Langue d' oiseau, Fata Morgana Editeur 1986.

lundi 13 décembre 2010

Lundi



 "Les gens qui ont une culture explorée jusqu' aux dernières ramifications en tout - histoire, philosophie,  bactériologie, folklore, etc. - et qui ont au service de cela un vocabulaire alerte, enfiévré, piaffant, puriste, méticuleux, virtuose, je me dis : ce sont des gens qui ont perdu jusqu' ici exagérément de temps pour ce que la vie en mérite."

Charles- Albert Cingria, Lettres, Genève, 3e année N° 5, septembre-octobre  1945.

samedi 11 décembre 2010

Le Peintre assassin

 

"A propos de criminel, je m' intéresse depuis fort longtemps au Caravage, non en tant qu' assassin mais parce qu' il a su mettre en scène le crime et imposer ses représentations de la cruauté pure sans échappatoire possible. Le Caravage n' est pas seulement un peintre moderne; il nous contraint à nous mettre en scène et à devenir les complices muets et terrorisés de ses assassinats. Nous sommes présents quand la chair est meurtrie par les poignards impitoyables et les cruelles épées. Le sang peint par Le Caravage-Merisi est plus vrai que n' importe quel autre sang et il n' est pourtant pas facile à peindre. Mélanger les doses correctes de carmin et de vermillon ne suffit pas. Le sang épais, presque coagulé, peint par Le Caravage m' intrigue. Ce n' est pas du sang de théâtre, ni du sang de cinéma, ni du sang d' opéra, c' est du vrai sang empli de malheurs. Caravage a vu de ses yeux jaillir ce sang parce qu' il peint le crime de près. Il est tout à côté du corps exsangue. Le peintre assassin sait exactement ce qu' il fait et ce qu' il peint, mais Merisi n' a pas pu fuir et il meurt seul, abandonné sur une plage, se souvenant peut-être des figures de David et Goliath, son tableau du musée du Prado."
    
    Eduardo Arroyo, Minutes d' un testament, Grasset Editeur.

dimanche 5 décembre 2010

Riche devant un livre pauvre ?




 " Devant un livre pauvre nous devenons riches, ce que contredit les lois économiques et les lois du marché. Les grands livres nichent dans les livres pauvres qui garantissent la circulation vitale du sang. La puissance et la gloire, proclamait Graham Greene, mais seule l' humanité maintient vivante la gloire qui se trouve dans les battements du coeur qui a retrouvé son tempo. On sait que dans les bibliothèques on apprend à lire et à aimer.(...)
 J' aime bien affirmer que j' ai passé plus d' heures dans les librairies que dans les musées et que j' ai transporté de-ci de-là plus de livres que de tableaux. Ce n' est qu' à l' occasion des déménagements que livres et peintures se perdent et le moins intéressant de tous, aussi disgracieux soit-il, sera toujours aimé par celui à qui il était destiné s' il est sauvé de la disparition ou de la destruction par le feu ; une nouvelle association verra le jour et ressemblera à ces couples surprenants qui circulent  par les rues et les places en se tenant la main : le géant et la naine, le gros et le maigre. "


Eduardo Arroyo, Minutes d' un testament , Grasset Editeur.

jeudi 2 décembre 2010

Jusqu' au dernier tableau

" La reconnaissance est un processus véritablement abstrait. Qui nous reconnaît ? Savons - nous qu' on nous reconnaît ? Dans quel but ? En avons - nous la certitude ? La reconnaissance se mesure t - elle comme s' il s' agissait d' un championnat en hauteur ? Qu' est -ce qui nous pousse à passer des journées à peindre et dessiner ? D' une certaine façon c' est une damnation parce que finalement on est enchaîné à cette praxis, on ne peut pas s' imaginer ne pas continuer jusqu' à la fin. Dans un film de Sacha Guitry à propos d' une des célébrités  française de  l' époque, on voit Renoir en train de peindre un tableau avec l' aide de son fils . Sa main est attachée au pinceau par des courroies parce qu' il n' a plus assez de force pour saisir son outil : c' est cela être peintre. On ne sait pas pourquoi on est devenu peintre mais on sait qu' on sera peintre à vie .Ca peut avoir l' air naïf, mais je suis convaincu  que le peintre doit être considéré comme tel depuis son premier tableau jusqu' à son dernier et non en fonction des moments qui conviennent à telle ou telle époque pour soutenir une quelconque logique artistique . Le peintre est un tout sinon ça ne vaudrait pas la peine de continuer ."

Eduardo Arroyo Minutes d' un testament, Grasset Editeur.